Intégration des réflexes archaïques ou intégration motrice primordiale (IMP)

Ces derniers mois, plusieurs parents d’élèves m’ont signalé avoir été orientés par des enseignants ou des personnels scolaires vers des praticiens en “intégration des réflexes archaïques”, notamment dans le cadre de difficultés d’attention, de comportement ou d’apprentissage.
Parallèlement, plusieurs ouvrages à destination des enseignants recommandent cette approche en tant qu’outil pédagogique d’aide aux élèves en difficulté ou de gestion de classe.
Des propositions de formation ciblant spécifiquement les enseignants ont également été identifiées.

Présentée comme une méthode douce, centrée sur le corps et le développement global de l’enfant, l’intégration des réflexes archaïques ou intégration motrice primordiale (IMP) séduit de plus en plus d’acteurs de l’éducation : sur quelles bases cette pratique repose-t-elle, et est-elle compatible avec les exigences du cadre scolaire ?

Descriptif

L’intégration des réflexes archaïques, également appelée intégration motrice primordiale (IMP), regroupe un ensemble de méthodes non conventionnelles qui visent à accompagner le développement des enfants à travers des exercices corporels inspirés des mouvements réflexes du nourrisson. Ces réflexes, dits « primitifs » ou « archaïques », sont des réponses automatiques du système nerveux central, observables chez le tout-petit dès la naissance, et qui disparaissent progressivement au cours des premiers mois de vie, à mesure que le système moteur volontaire se développe.

Parmi ces réflexes, on peut citer :

  • Le réflexe de Moro : une réaction de sursaut en réponse à un bruit fort ou à un changement brutal de position, qui entraîne une extension des bras suivie d’un repli.
  • Le réflexe de grasping : une fermeture involontaire de la main lorsqu’un objet est placé dans la paume.
  • Le réflexe tonique asymétrique du cou (RTAC) : lorsque la tête du nourrisson est tournée d’un côté, les membres de ce côté s’étendent tandis que ceux du côté opposé se replient.
  • Le réflexe tonique labyrinthique (RTL) : une modification du tonus musculaire en fonction de la position de la tête dans l’espace, influençant l’équilibre et la posture.

Selon les promoteurs de l’intégration des réflexes archaïques, une persistance anormale de ces réflexes au-delà de la petite enfance pourrait être en lien avec certaines difficultés d’apprentissage, troubles de l’attention, troubles du comportement ou troubles posturaux. Ils proposent alors des séances corporelles spécifiques pour « intégrer » ces réflexes, souvent en reproduisant des schémas moteurs supposés stimuler la maturation du système nerveux.

Promesses

Les praticiens de la méthode affirment que cette approche permettrait de soutenir le développement global de l’enfant en facilitant la maturation du système nerveux central.

On trouve régulièrement les promesses suivantes :

  • Amélioration des apprentissages scolaires, notamment en cas de troubles DYS, de TDAH ou de retards d’acquisition : lecture, écriture, coordination main-œil, gestion de l’attention, posture en classe.
  • Réduction de certains troubles neurodéveloppementaux (troubles sensoriels, troubles du spectre autistique) grâce à une meilleure régulation du système nerveux.
  • Renforcement de la stabilité émotionnelle : gestion de la frustration, de l’impulsivité, diminution de l’anxiété ou des colères.
  • Développement de la motricité fine et globale, amélioration de l’équilibre, de la coordination et du schéma corporel.
  • Favoriser la confiance en soi et l’estime de soi, en particulier dans les relations sociales à l’école ou en famille.
  • Reconnexion aux “fondations motrices et sensorielles de l’être humain”, parfois présentée comme indispensable à tout processus d’apprentissage ou de bien-être.

Certaines sources évoquent aussi des effets positifs sur la qualité du sommeil, l’énurésie ou encore les phobies scolaires.

Origine

L’intégration des réflexes archaïques, telle qu’elle est proposée aujourd’hui dans différentes méthodes (IMP, RMTi, MNRI…), s’est développée à partir des années 1980, en marge des circuits académiques et médicaux traditionnels. Elle repose sur l’idée que les réflexes primitifs du nourrisson, qui apparaissent in utero ou à la naissance (Moro, grasping, RTAC, RTL, etc.), doivent être « intégrés » au cours du développement pour permettre l’émergence de fonctions supérieures comme la posture, le langage, l’attention ou la régulation émotionnelle. Une persistance de ces réflexes au-delà de la petite enfance serait, selon ces approches, à l’origine de nombreux troubles des apprentissages ou du comportement.

Cette hypothèse a d’abord été développée dans le Rhythmic Movement Training (RMT), conçu dans les années 1980 par le psychiatre suédois Harald Blomberg, puis dans le programme MNRI® structuré par la psychologue russe Svetlana Masgutova dans les années 2000. Ces méthodes reposent sur des exercices corporels visant à “stimuler” ou “réintégrer” des réflexes persistants pour favoriser la maturation du système nerveux.

En France, Philippe Nicolas a lancé à partir de 2010 une synthèse personnelle baptisée Intégration Motrice Primordiale (IMP). Présentée comme une approche éducative, elle est destinée aussi bien aux enseignants qu’aux professionnels de l’enfance ou aux parents. Elle propose de mobiliser des mouvements simples, des jeux moteurs ou des rituels corporels pour “intégrer” les réflexes et soutenir, selon ses termes, le développement global de l’enfant.

Ces différentes déclinaisons s’appuient sur une même logique : relancer des processus sensorimoteurs précoces pour favoriser une réorganisation fonctionnelle. Cette approche, largement diffusée dans les milieux de l’éducation et du développement personnel, ne dispose cependant pas de validation scientifique reconnue dans les champs de la neuropsychologie, de la médecine ou des sciences de l’éducation.

Autres principales méthodes de « réorganisation neuro-fonctionnelle »

L’intégration des réflexes archaïques ou intégration motrice primordiale (IMP) s’inscrit dans un ensemble plus large de méthodes dites de réorganisation neuro-fonctionnelle, qui partagent l’objectif de stimuler la plasticité cérébrale en réactivant ou récapitulant les étapes du développement sensorimoteur de la petite enfance. Ces approches, bien que différentes dans leurs pratiques et références théoriques, mobilisent des exercices corporels visant à soutenir ou restaurer certaines fonctions cognitives, motrices ou émotionnelles. Les principales méthodes associées sont :

  • la méthode Padovan, centrée sur la répétition de séquences motrices inspirées du développement de la marche, du langage et de la motricité manuelle ;
  • le Rhythmic Movement Training International (RMTi) de Harald Blomberg, qui propose des mouvements rythmiques passifs et actifs basés sur les réflexes primitifs ;
  • le MNRI® (Masgutova Neurosensorimotor Reflex Integration) de Svetlana Masgutova, très structuré et diffusé à l’international ;
  • la méthode Temple Fay, d’inspiration neurologique, qui a influencé plusieurs de ces pratiques ;
  • des approches de l’intégration sensorielle comme celle d’A. Jean Ayres, visant à améliorer la régulation des réponses sensorielles par l’expérience corporelle.

Certaines de ces méthodes sont aujourd’hui utilisées en cabinet, en milieu scolaire ou dans des structures médico-sociales, bien que leur efficacité n’ait pas été démontrée et que leurs fondements scientifiques soient très discutables.

Points de vigilance

L’intégration des réflexes archaïques ou intégration motrice primordiale (IMP) est aujourd’hui pratiquée dans des contextes variés, et séduit certains professionnels de l’accompagnement de l’enfant, y compris dans le champ paramédical. Des orthophonistes, psychomotriciens et enseignants peuvent être attirés par cette approche, perçue comme une réponse “globale” et bienveillante à certaines difficultés scolaires ou comportementales.
Or, si les réflexes archaïques ou primordiaux existent bien, le rôle qui leur est attribué dans ces pratiques n’est absolument pas scientifiquement fondé.

Plusieurs éléments appellent donc à une vigilance accrue : 

  • Absence de validation scientifique
    À ce jour, aucune étude indépendante et rigoureuse n’a démontré l’efficacité de l’IMP pour améliorer les apprentissages ou traiter les troubles du neurodéveloppement. L’approche reste hors du champ des pratiques recommandées par les autorités sanitaires ou éducatives.
  • Glissement vers des pratiques pseudo-thérapeutiques
    En mettant en œuvre, en milieu scolaire, des exercices visant à “réorganiser” le système nerveux ou à traiter des troubles identifiés (dyslexie, TDAH, anxiété…), l’enseignant sort de son rôle pédagogique pour adopter une posture de thérapeute. Ce glissement peut s’apparenter à une sorte de pratique illégale de la médecine, notamment en l’absence de diagnostic médical ou de suivi par un professionnel habilité.
  • Engagement de la responsabilité individuelle
    Proposer l’IMP à un élève, dans le cadre scolaire ou recommander à ses parents un praticien IMP, revient à engager sa responsabilité personnelle. Utiliser ou conseiller une méthode non validée peut exposer à des poursuites en cas de préjudice, même en l’absence d’intention de nuire.
  • Emploi d’un vocabulaire pseudoscientifique
    L’IMP mobilise des concepts tels que “maturation du tronc cérébral”, “réactivation de programmes moteurs”, “réorganisation neurologique par le mouvement”, sans base démontrée. Cela peut créer une illusion de scientificité, brouillant les repères entre démarche éducative, thérapeutique et idéologique.
  • Effets d’éviction ou de retard de prise en charge
    En s’appuyant sur cette méthode, certains professionnels risquent de retarder un diagnostic ou un accompagnement adapté, en créant de faux espoirs chez les familles ou en leur suggérant que la solution viendrait uniquement d’exercices corporels quotidiens.

L’avis du CNPP (Conseil National Professionnel des Psychomotriciens)

« Dans les faits, ces approches ne sont absolument pas récentes, leurs sources remontant aux travaux de Dennison dans les années 1970 (Dennison & Dennison, 1994). Cependant, elles souffrent d’une absence totale de fondements théoriques valides et ne sont plus en phase avec les connaissances actuelles sur le cerveau ou le système nerveux de manière plus générale. Elles ont pour l’immense majorité une origine commune, la méthode Brain Gym® aussi appelée kinésiologie (Axelrad, 2024), pour laquelle le rapport de la MIVILUDES rappelle qu’elle « reçoit régulièrement des signalements concernant la pratique de la kinésiologie et de techniques associées (comme la Brain Gym® par exemple) », en plus d’être considérée comme une pseudoscience (Rapport MIVILUDES, 2009 ; Rapport INSERM, 2017).

Suivre ces formations dont le contenu n’est pas fondé scientifiquement pose donc des problèmes concernant la sécurité des soins, la déontologie et plus globalement pour le respect de l’obligation de formation qui incombe aux psychomotriciens. » 


Source : « Formations basées sur l’intégration des réflexes archaïques – Avis du Conseil National Professionnel des Psychomotriciens« 

Par ailleurs ce type d’approche n’est ni recommandé, ni validé par une quelconque autorité scientifique et/ou de santé. 

Et si on faisait plutôt…

… des activités corporelles simples et diversifiées, comme des jeux moteurs, des parcours de motricité, du sport adapté, des temps de relaxation ou d’éveil corporel, sans leur attribuer de pouvoir “réorganisateur” du système nerveux. Ce sont déjà des outils puissants pour développer la coordination, la latéralisation ou la concentration, sans s’appuyer pour autant sur des théories non validées.

… un travail pédagogique sur les besoins spécifiques des élèves : en mobilisant des dispositifs d’aide adaptés, des pratiques différenciées ou des outils de remédiation qui respectent les recommandations institutionnelles. L’école n’a pas vocation à tester des méthodes pseudo-thérapeutiques.

… une collaboration claire avec les professionnels du soin et du développement de l’enfant, chacun dans son champ de compétence. Une difficulté scolaire persistante appelle un regard pluridisciplinaire dans le respect des cadres déontologiques.

… une formation exigeante des enseignants sur le développement de l’enfant, les fonctions exécutives, l’attention, les troubles spécifiques des apprentissages — fondée sur les connaissances scientifiques actuelles, pas sur des croyances séduisantes.