Et la “spiritualité laïque” dans tout ça ? 

On est de plus en plus confronté à des questions ou des arguments évoquant une “spiritualité laïque” qui aurait donc toute sa place à l’École publique.

La « spiritualité laïque » est un concept malin, très utile pour les promoteurs du new-age. En effet, la diffusion de la spiritualité new-age avec l’enjeu de tout le marché qui l’accompagne, pourrait être gênée, notamment à l’École, par l’entorse à la laïcité qu’elle suppose. Comme le new-age n’a pas une doctrine définie mais est un agrégat de croyances très diverses (indoues, bouddhistes, idées de développement personnel, le tout mêlé à des prétentions pseudoscientifiques), elle serait compatible avec toutes les religions et donc laïque !
C’est FORMIDABLE n’est-ce pas ?

Évidemment, toute transmission de croyances à l’École est contraire au principe de laïcité mais on a affaire ici à un mélange flou, avec souvent des prétentions scientifiques, transmises par des enseignants ou des intervenants qui n’ont la plupart du temps pas conscience qu’il s’agit de croyances.
En l’absence de toute clarification à ce sujet de la part de l’Éducation nationale, ce concept de « spiritualité laïque » est extrêmement pratique pour écarter les doutes et les quelques critiques qui pourraient survenir.

Il ne s’agit pas ici de nier les aspirations spirituelles des humains, j’ignore si elles sont universelles mais effectivement elles sont présentes, c’est indéniable.

À l’École publique on peut tout à fait parler de spiritualité, de religion aussi d’ailleurs, mais on ne doit pas transmettre des croyances.

Ceci étant posé, qui parle de “spiritualité laïque” ? 

Pour en faire le constat, il suffit de chercher cette expression dans un moteur de recherche et on voit tout de suite qu’elle est utilisée par des organisations spirituelles surveillées pour dérives sectaires, des groupes new-age ou des religions comme le bouddhisme (oui, le bouddhisme est bien une religion)1. On la trouve aussi utilisée par des promoteurs de pseudo-thérapies qui ont intérêt à justifier les liens corps / esprit / Grand Tout, soi-disant à l’œuvre dans leurs pratiques.
Sans surprise, cette conception d’une “spiritualité laïque” est très appréciée des défenseurs de la méditation, du yoga… à l’École ainsi que de ceux voulant présenter leurs écoles alternatives comme étant laïques. 

D’expérience, quand quelqu’un précise que ce qu’il propose pour l’École est bien “laïque”, c’est que ce n’est pas évident et qu’il vaut mieux être très très très vigilant !
Souvent, quand ce qui est explicitement proposé semble bien laïque, ses origines ne le sont pas (ce qui peut générer des confusions entre des pratiques portant le même nom mais de nature différente) et/ou c’est ce qui sera proposé autour, de façon annexe ou complémentaire, qui ne l’est pas.    

Voici des extraits de l’intervention de Lucienne de Bouvier de Cachard, présidente de l’association Secticide (Association de lutte et prévention contre les dérives sectaires portant atteinte à la dignité de l’Homme et à ses droits fondamentaux, son siège est à Verdun), lors de la conférence de la FECRIS L’Éducation face aux sectes, à Riga, le 2 juin 2018.
Je vous invite vivement à en lire l’intégralité en suivant le lien de la source, c’est précis et très éclairant. 

« Les partisans de la « spiritualité laïque » revendiquent le droit d’aborder la dimension spirituelle de l’être humain en dehors de toute référence à une religion particulière. Antonella Verdiani pense ainsi que le véritable objectif de l’éducation est de mettre les enfants sur la voie de l’éveil spirituel. Ainsi nous apprend-elle que le mot « joie » aurait la même racine que le mot « yoga », et que « l’éducation à la joie », pour laquelle elle milite activement, ne fait pas – ou pas seulement -référence à la « joie » telle que nous l’entendons spontanément mais au fait de se sentir « relié » au monde et à soi-même, au « Soi » universel, un état de conscience modifié assez semblable à l’expérience psychédélique que décrit, par exemple, Aldous Huxley dans Les Portes de la perception, et qui serait l’ultime saint-graal de toutes les traditions spirituelles. […]
De là à parler de prosélytisme, il n’y a qu’un pas, et si la spiritualité New Age n’est peut-être pas, à proprement parler, une religion, elle est bien une « religiosité diffuse », qualificatif qui nous semble pertinent pour exprimer la véritable nature de cette forme de spiritualité qui repose sur le concept d’ « homme nouveau » cher aux régimes totalitaires. Il s’agit, grâce à une spiritualité dévoyée et en s’appuyant sur le fait que les enfants sont réputés plus malléables que les adultes, de transformer la nature même de l’être humain pour le rendre plus « relié » à son environnement, qui a nom « Gaïa la Terre Mère », dont l’homme deviendrait une simple émanation. […]
Celui qui considère que la spiritualité doit demeurer une affaire privée, n’est pas le bienvenu dans ce contexte qui présente une manière de penser, et une seule, même si celle-ci peut prendre bien des formes différentes qui peuvent faire croire à une ouverture d’esprit et à une tolérance,- en réalité désespérément absente de ces allées peuplées de sourires faussement bienveillants. Nous pensons donc que la « spiritualité laïque » dont se réclame le Printemps de l’éducation n’est que le prête-nom d’un projet politique totalitaire, celui du New Age dans lequel on cherche à enrôler, embrigader les enfants, en les séduisant par des couleurs chatoyantes et des paroles doucereuses. »

« L’éducation au risque du New Age – Visite au Printemps de l’éducation » BulleS n°140 (2018) revue de l’Unadfi (Union nationale des Associations de défense des Familles et de l’Individu)

En ce qui me concerne, et jusqu’à nouvel ordre, la « spiritualité laïque » relève de l’oxymore et de la tromperie… 

1 – Quelques exemples : 

  • Un colloque sur la “spiritualité laïque” organisé au printemps 2015 par Françoise Nyssen à Arles avec comme intervenants principaux Bodo et Isis von Plato ainsi que Praxède et Henri Dahan tous anthroposophes (membres de l’organisation qui gère les écoles Steiner)
  • Ce site intitulé “Pour une spiritualité laïque” rempli de textes sur les croyances de l’anthroposophie de Steiner et qui a une page Facebook intitulée : Pour une « Spiritualite Laique & Christique » (sic !)
  • On entend parler beaucoup de spiritualité laïque. cette notion a-t-elle un sens pour vous ?”
    Matthieu Ricard : Bien sûr, et elle intéresse énormément le Dalaï-Lama, pour qui elle concerne au moins la moitié de l’humanité. De plus en plus de gens n’entretiennent plus le moindre rapport avec la religion de leurs ancêtres ou pratiquent encore, mais de façon tiède, sans croire à l’importance cruciale de ce qu’ils font, alors qu’ils continuent évidemment à avoir grand besoin de tendresse, de rapport compassionnel, de tolérance, d’amour… car ce sont là des dimensions vitales de la vie humaine.
    ” (Source)