Le bonheur obligatoire… de la psychologie positive 

En m’intéressant aux dérives scolaires, j’ai été amenée à regarder de plus près ce qu’est la psychologie positive très présente dans les justifications de méthodes proposées en classe pour favoriser le bien-être des élèves, leur santé mentale et développer leurs compétences psychosociales. 

Je pensais que c’était forcément sérieux à la base, puisqu’enseigné dans des universités mais en fait c’est très sujet à caution, y compris dans ses fondements.

En effet, cette discipline est très récente (1998), son fondateur Martin Seligman a dès le départ adopté les codes et les promesses que l’on retrouve dans le développement personnel et il suffit de lire ses ouvrages pour constater les vertus irréalistes qu’il prête à ses méthodes. Nombre de chercheurs compétents se sont penchés sur ses travaux et ceux de ses disciples et y relèvent des erreurs, faiblesses et approximations. À cet égard, la lecture de l’ouvrage de Michel Hansenne1 est édifiante. 

Selon Wikipédia : ”la psychologie positive s’intéresse surtout à la santé, à qualité de vie et au bien-être, à ce qui rend les humains résilients, heureux, optimistes, plutôt qu’aux sources des psychopathologies. L’hypothèse de la psychologie positive est qu’en étudiant pourquoi et comment certains animaux et certaines personnes surmontent mieux que d’autres les difficultés de la vie, il sera possible de trouver des moyens de développer ces qualités chez tout un chacun. Son objectif est de promouvoir l’épanouissement et l’accomplissement de soi, au niveau individuel, groupal et social.” 

Cette démarche est évidemment intéressante et on peut comprendre l’engouement mais il y a plusieurs problèmes qui en découlent.

Les outils proposés

En effet, on y trouve pêle-mêle la méditation de pleine conscience, des pratiques demandant de faire preuve de gratitude, de compassion, de pardonner avec une grande insistance sur le positif qui attire le positif… Ça évoque beaucoup le développement personnel et des pratiques new-age. Il ne me revient pas de juger si cela peut aider des personnes en souffrance psychologique à se sentir mieux, et qu’un soignant puisse préconiser cela ne me semble pas forcément problématique mais… les enseignants ne sont pas des soignants, ni des psychologues et ce n’est pas leur rôle ! Faire entrer ces pratiques à l’école, pour un groupe classe, est-ce bien raisonnable et pertinent ? 

Le risque de la culpabilisation individuelle

En effet, cette démarche, surtout aux mains de non-psychologues, s’apparente à du coaching imposant l’idée que se sentir bien, épanoui, heureux, dépend majoritairement de la personne concernée. Selon la psychologie positive, notre niveau de bien-être reposerait à 50% sur la génétique, 10% sur le contexte, et 40% sur les activités intentionnelles (Sonja Lyubomirsky 2005) ce qui peut se résumer en “si vous n’êtes pas heureux, c’est que vous ne faites pas assez d’efforts” et en plus exonère toute responsabilité sociétale. Si le bonheur ne dépend qu’à 10% du contexte, alors améliorer les conditions de vie, ou ici de travail en classe, serait bien moins pertinent que de juste déclarer que l’élève malheureux est responsable de son état. C’est très probablement faux et contraire à l’éthique en plus d’être très culpabilisant pour l’enfant ou l’adolescent concerné. 

Les glissements vers des croyances

Enfin, malgré les dénégations des promoteurs de la psychologie positive qui prétendent que leur discipline n’a rien à voir avec la pensée positive, l’éducation positive… ces pratiques sont en très grande proximité, partagent les mêmes postulats et sont reliées aux mêmes croyances comme la loi de l’attraction… ce qui n’a vraiment pas sa place à l’École publique. 

Pour aller plus loin, je recommande les lectures suivantes : 
1 – “La face cachée de la psychologie positive” (2021) par Michel Hansenne chez Mardaga (un peu ardu mais qui décortique précisément les recherches)
– “Happycratie” d’Edgar Cabanas & Eva Illouz (2018) chez Premier parallèle (très facile d’accès)
– “Happycratie – Le bonheur des autres ne fait pas le nôtre” (2022) d’Alice Babin chez l’Alchimiste (un roman jeunesse dystopique, abordable avec des élèves à partir de 12-13 ans et tout à fait intéressant pour des adultes)

ainsi que le visionnage du documentaire d’Arte “Le business du bonheur” dont on peut avoir une version commentée ici et l’écoute du podcast Méta de Choc « Les dangers de la pensée positive« .