Les enseignantes et enseignants sont aussi victimes

Lorsqu’on parle de dérives scolaires, on pense d’abord, et c’est normal, aux risques encourus par les élèves. Pourtant, les enseignantes et enseignants sont eux aussi concernés : sollicités, instrumentalisés, fragilisés. Ils peuvent devenir, bien malgré eux, à la fois cibles, relais et parfois même acteurs de la diffusion de pratiques douteuses.

Dépossédés de leur rôle

De plus en plus de dispositifs « clé en main » prétendent développer le bien-être ou les compétences psychosociales des élèves et, derrière des promesses séduisantes, les bases scientifiques avancées sont souvent douteuses. Les enseignants se retrouvent assignés à un rôle qui n’est pas le leur : endosser la posture de thérapeutes ou de coachs, sans formation adéquate ni légitimité. Une dérive préoccupante qui brouille leur mission première d’enseignement.

Ciblés par les marchands de méthodes

Sophrologie, communication non-violente, yoga, PNL, intégration des réflexes archaïques… autant de pratiques qui s’invitent dans l’École par le biais de “formations” souvent coûteuses et présentées comme indispensables pour enfin pouvoir accompagner efficacement les élèves. Les enseignants deviennent des clients captifs, sommés de combler leurs supposées lacunes en « outils pédagogiques magiques ». Au-delà de la perte de temps et d’argent, ces « formations » sont souvent de simples arnaques, mais elles peuvent parfois être reliées à des réseaux à risques, entre pseudosciences et dérives sectaires.

Instruments involontaires de diffusion

Un enseignant convaincu par une méthode peut devenir le vecteur de sa propagation, auprès de ses élèves, de ses collègues, voire des familles. Par exemple, Brighter Minds ou le Chindaï – adossés à des organisations sectaires – ciblent directement les enseignants pour légitimer leurs approches. De même, la méditation de pleine conscience, malgré les appels à la vigilance de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) et du CSEN (Conseil scientifique de l’Éducation nationale), est encore introduite dans des classes par des enseignants, et même des formateurs, persuadés que « ça ne peut pas faire de mal ».

Exposés aux risques d’emprise

Les pratiques qui modifient l’état de conscience (sophrologie, méditation, yoga) augmentent la vulnérabilité à l’emprise. Un enseignant en situation de stress ou d’épuisement peut se laisser happer par des parcours de croyances, comme l’écopsychologie ou les 8 Shields, qui mélangent pédagogie, spiritualité et pseudo-thérapies. L’engrenage est rapide : d’une pratique « bien-être » ponctuelle, on peut glisser vers des univers beaucoup plus problématiques et dangereux.

Transformés en pseudo-thérapeutes… voire en charlatans

Certains franchissent un pas supplémentaire… séduits puis convaincus, ils deviennent promoteurs actifs, formateurs auto-proclamés ou créateurs de méthodes. Parfois même, ils quittent l’enseignement pour s’improviser pseudo-thérapeutes à plein temps.
Les risques sont nombreux : perte de crédibilité, conflits avec les familles et l’institution, investissements financiers dans des certifications fantaisistes, dépendance à un « business » parallèle… sans oublier l’emprise psychologique qui accompagne souvent ces trajectoires.

Fragilisés et culpabilisés

Le discours de ces approches est redoutablement culpabilisant : si la méthode ne marche pas, c’est que l’enseignant n’y a pas « assez cru » ou ne l’a pas « bien appliquée ». Ce renversement détourne l’attention des véritables causes des difficultés scolaires et de l’exercice du métier : conditions de travail, organisation de l’école, effectifs trop lourds, inégalités sociales… dans certains cas, ces pratiques peuvent même retarder l’accès à un accompagnement médical ou psychologique nécessaire pour l’enseignant.

Les enseignants ont besoin de soutien institutionnel, pas d’outils magiques… protéger l’École et les élèves, ça commence par les protéger eux !  

Les dérives scolaires ne mettent pas seulement en danger les élèves, elles fragilisent aussi les enseignants, en les trompant, en les culpabilisant, et parfois en les transformant en relais de pratiques pseudo-scientifiques. L’Éducation nationale a donc une responsabilité claire : protéger ses personnels, en renforçant leur formation scientifique et critique, en rappelant les limites de leur rôle – ils ne sont pas thérapeutes –, et en évitant de cautionner, directement ou indirectement, ces « solutions miracles » qui ouvrent la voie à des dérives.

Pour aller plus loin 

Lire dans le rapport 2024 de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) la partie intitulée « L’éducation parfois infiltrée » (pp 103 à 107)